Déguster un cigare, c'est le consommer;
la dégustation a une durée; selon le modèle du
cigare, la séquence complète durera de quinze minutes
à plus d'une heure.
Il est nécessaire de noter, au fur et à mesure que la
dégustation avance, les caractéristiques de chacune des
phases.
Nous allons donc reprendre la dégustation au moment où
le cigare est choisi et, en détaillant les divers éléments
d'appréciation qui doivent intervenir au cours des phases successives,
nous définirons à la fois la caractéristique examinée
et le vocabulaire utilisé pour l'expliciter.
Avant l'allumage :
1) Examen de l'aspect du cigare
La géométrie : vérification de la forme (s'il s'agit
d'un cigare cylindrique, cas le plus fréquent, on vérifie
la régularité du cylindre) ; qualité de la formation
de la tête (demi-sphère, tête aplatie, tête
torsadée ou tête pointue) ; découpe du pied (droite
ou en biais, déchirures, etc.) ; enroulement de la cape (tension
régulière ou baillement).
Aspect de la cape : noter la couleur ; régularité de la
couleur ; noter les éventuels changements de couleur aux enroulements
successifs de la cape ; noter les taches de couleur, la qualité
du grain, l'aspect mat ou brillant.
2) Compacité évaluée à la main
Régularité de la compacité : un défaut fréquent
résulte de la tendance des rouleurs à charger plus fortement
les deux extrémités pour faciliter la fermeture du cigare.
De ce fait, les cigares sont parfois "creux" dans leur partie
médiane.
Le besoin ou le goût de fumer est lié à l'absorption
de nicotine. La nicotine irrigue le cerveau après 10 à
15 minutes au maximum. Une heure après, elle est en majeure partie
éliminée. Les tabacs séchés à l'air
(cigares et tabacs bruns) ont une fumée basique : la nicotine
traverse les parois de la bouche sans qu'il soit nécessaire de
l'inhaler. Les tabacs blonds ont une fumée acide: le fumeur doit
inhaler la fumée pour pourvoir absorber la nicotine à
travers les parois des bronches.24Niveau de compacité : le cigare
doit être ferme, c'est-à-dire bien rempli tout en restant
souple. Un cigare dur est difficile à fumer, un cigare mou offre
un tirage trop aisé.
3) Sensations gustatives avant l'allumage
L'odeur propre d'un bon cigare est un premier enchantement. Sachons
faire durer ce plaisir, et le décupler en portant assez longuement
le cigare à la bouche sans l'allumer.
Le cigare ouvert, aspirons lentement l'air qui emplit peu à peu
le nez et la bouche de toutes les senteurs du tabac. Les très
belles sensations du cigare "fumé cru" offrent de précieuses
indications sur ce que seront le corps et la richesse de la fumée.
De plus, la manipulation du cigare, le contact avec la main et la bouche
pendant quelques minutes sont favorables lors de l'allumage.
A / . A l'allumage
Dès les premières bouffées :
1) Analyse des sensations irritantes
- à la pointe de la langue : piquant (exceptionnel)
- au creux des joues : cuisant (assez fréquent)
- au corps de la langue : râpeux (rare)
- à la gorge: âcre (très fréquent)
2) Tirage :
Le tirage est tellement important pour l'agrément du cigare qu'il
n'est pas inutile de l'appréhender à deux niveaux: indirectement
par l'appréciation de la compacité puis directement à
la bouche.
B /. Tout au long de la dégustation
1) La combustion : la régularité avec laquelle la combustion
progresse sur toute la section du cigare est l'une des qualités
primordiales. Une combustion irrégulière est l'indice
d'un matériau hétérogène. La forme de la
surface de combustion est l'indice des qualités d'assemblage
: plate pour un assemblage parfait, en cône si la combustibilité
de la cape (ou de la sous-cape) est excessive, en cratère si
elle est insuffisante (défaut extrêmement grave). On notera,
le cas échéant, la tendance à l'extinction qui
révèle une combustibilité globale insuffisante.
2) La saveur : elle est perceptible à la langue selon les quatre
notions de base
- sucré : assez rare
- salé :en principe inexistant
- acide se présente assez fréquemment
- amer très fréquent, particulièrement avec certaines
espèces de tabac (tabacs d'Indonésie en particulier).
Notons qu'un léger goût sucré peut ne pas être
désagréable
25
(question de goût personnel, mais aussi d'équilibre des
sensations globales), qu'une légère amertume est généralement
bien tolérée ou même appréciée, mais
que l'acidité est toujours ressentie comme un défaut.
3) Le goût : évaluation globale.
Les deux axes d'évaluation principaux sont :
a) La richesse qui définit la variété et la qualité
des arômes. Pour décrire une gamme d'arôme étendue,
on emploiera les mots suivants : riche, généreux, capiteux.
Ils expriment la richesse et la plénitude de l'arôme, alors
que pour le vin, le terme "capiteux" sous-entend la notion
d'intensité, de richesse alcoolique, "qui monte à
la tête", selon l'étymologie du mot. A l'opposé
on parlera d'un arôme pauvre, maigre, plat.
La richesse en arôme devrait idéalement s'analyser dans
la composition chimique de la fumée du cigare.
On détecte dans la fumée des produits tels que terpènes
et cétones qui jouent un grand rôle dans la parfumerie
(mais dont certains sont aussi des irritants puissants, donc susceptibles
de masquer le goût).
Cependant, le nombre et la variété des corps chimiques
composant la fumée sont tels que cette entreprise est aujourd'hui
irréaliste.
En revanche, les "nez" entraînés peuvent utilement
définir leurs impressions olfactives en détectant, dans
le spectre olfactif de la fumée du tabac des odeurs identifiables
par leur référence à un parfum naturel très
caractéristique dont je donne ci-après une liste évidemment
non exhaustive. Remarque étant faite que l'odeur transmise par
un corps chimiquement pur peut-être perçue très
différemment selon son niveau de concentration.
Pour ne donner qu'un exemple, une très légère odeur
d'ammoniaque peut être très agréablement perçue
(pas par tout le monde d'ailleurs) alors qu'à plus haute dose
et mélangée à d'autres senteurs, elle peut évoquer
l'urine et provoque la répulsion (et parfois, faut-il le mentionner,
l'attrait).
b) L'intensité qui mesure la densité des éléments
olfactifs et de la nicotine dans la fumée. On exprime l'intensité
à l'aide des mots suivants: copieux, plein, chaud, étoffé,
corpulent, rassasiant. A l'opposé: creux, faible, court, mince,
maigre.
On jugera en outre :
c) L'agrément : appréciation très personnelle sur
les qualités "esthétiques" de la fumée.
D'un cigare dont la fumée est belle, on dit qu'il est élégant,
distingué, gracieux, aimable, stylé, racé. A l'opposé
: indifférent, terne, mou, ordinaire, commun,... vulgaire (est-ce
possible ?).
d) L'équilibre : c'est la qualité suprême d'un cigare
qui trouve sa perfection dans l'harmonie complète de ses constituants.
Lorsqu'il y a équilibre parfait, on parlera d'un cigare harmonieux,
fondu, rond, coulant, complet, équilibré, onctueux, moelleux,
velouté. S'il y a défaut d'équilibre, on le qualifiera
de heurté, de lourd, de déséquilibré.
e) La persistance : ce terme transmis par les parfumeurs caractérise
la capacité de l'odeur à prolonger sa présence.
Toutefois, il n'y a pas de fumée qui persiste sans se modifier
d'une manière désagréable. La persistance, liée
à l'intensité est un défaut.
Une fumée doit être "présente" mais s'effacer
rapidement, discrètement en somme.
4) Le goût : analyse des senteurs.
De lanalyse que nous avons faite plus haut, nous retiendrons les
principales odeurs présentes dans la fumée et celles qui
permettent de caractériser avec la meilleure approximation lorigine
des tabacs :
Odeurs végétales et boisées
HERBE
SECHE
PAILLE
TERRE SECHE
FOIN COUPE
MOUSSE
TERRE HUMIDE
TRUFFE
CANNELLE
MUSCADE
Odeurs animales
ETABLE
MOUTON
MUSC
CUIR
Odeurs sucrées et torréfiées
PAIN
GRILLE
GOUDRON
MOKA
CHICOREE
CACAO
CARAMEL
PAIN DEPICES
MIEL
REGLISSE
VANILLE
ODEURS LACTEES
Epices
POIVRE
POIVRON VERT
PIMENT
(MUSCADE)
(CANNELLE)
QUELS AROMES, DANS QUELS CRUS ?
Nous
donnerons plus bas une analyse dégustative des principaux crus
de tabacs pour cigares. Ici, nous indiquons à grands traits,
à propos des senteurs que nous avons répertoriées,
dans quels crus et surtout dans quels cigares on les rencontre généralement
Odeurs végétales :
Très présentes dans lodeur du tabac et dans la fumée
des cigares de corps moyen ou faible : Dominicains, Cubains légers,
(foin coupé), Manille, Java, (foin humide), avec des pointes
deucalyptus et des nuances florales variées. Le niveau
dhumidification a un effet important sur la nature et lagrément
des sensations végétales : cigare trop sec, lodeur
va vers la paille et même le papier ; bien humide, elle peut avoir
des nuances florales riches ; trop humide, cest le foin aigre
et piquant qui apparaît .
Odeurs boisées :
Parentes des odeurs végétales, elles expriment à
la fois une plus grande présence olfactive et une orientation
vers les sucs végétaux, résines, sèves,
réglisse. On les rencontre dans les tabacs aborigènes,
dits " criollos ",ou leurs dérivés : Olor dominicano,
tabacs criollos du Honduras, tabacs cubains du Partido, et aussi de
la Vuelta Abajo un peu rustiques.
Odeurs épicées :
Lodeurs de poivre est fréquemment présente dans
le tabac et dans le cigare avant allumage. Le poivre fort est très
présent dans la fumée des cigares cubains corpulents.
Elle se marie parfois à des odeurs de poivron vert et aussi de
muscade. Les cigares du Honduras sont de ce point de vue, proches parents
des Havanes, tandis que chez les dominicains, la présence de
poivre est souvent liée à des douceurs mielleuses.
Odeurs animales :
Toutes les senteurs animales que lon repère dans les cigares
ont pour origines de sous-produits ammoniaqués de la fermentation.
Quand celle-ci est incomplète, lammoniac agresse le nez,
mais, à un faible niveau, ce sont de riches odeurs détable,
parfois de mouton ou de musc, très présentes chez les
beaux Havanes. Les cigares classiques du Nicaragua et les cubains rustiques
les ont avec rudesse, souvent accompagnées dodeurs de camphre
et diode. Chez certains cigares raffinés, surtout certains
cubains pas trop corpulents, apparaissent de belles odeurs de maroquinerie.
Odeurs sucrées et torréfiées :
Elles proviennent des glucides de la plante, qui suivant le niveau de
la pyrolise, donnent des goûts de miel (voire douceâtre
et même écoeurant), des senteurs lactées et toute
une vaste palette dodeurs allant des caramels à des senteurs
torréfiées et même grillées. Les cigares
dominicains donnent des odeurs de pain dépices, avec des
nuances vanillées et lactées, les Havanes rustiques donnent
du pain grillé et de la chicorée ; les Honduras vont jusqu'à
des odeurs carbonisées, tandis que les jamaïcains ont des
odeurs lactées, et enfin que les cigares de brésil évoquent
le caramel au lait et le cacao.
Odeurs dhumus :
Les odeurs de la terre qui nourrit la plante lui donnent ce goût
de " terroir ", toujours un peu rustique, mais ne manquant
jamais dagrément. Les cigares dominicains, lorsquils
sont à dominante dOlor dominicano, ont une odeur caractéristique
de foin coupé. Les cubains rustiques ont des senteurs terreuses
plus lourdes ; les cigares du Honduras aussi ont souvent un goût
de terre, qui devient terreux pour peu que le cigare soit sec, ce qui
est vrai aussi pour tous les cigares.
Gilbert Belaubre: "De l'initiation à la maîtrise"
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LES DIFFERENTES PHASES DE LA DEGUSTATION
ET LEUR VOCABULAIRE
Extrait de l'ouvrage de référence: © "CIGARE. De l'initiation à la maîtrise" de Gilbert Belaubre