Depuis trente ans, d'immenses progrès ont été accomplis dans la connaissance des mécanismes de l'olfaction. Comprendre, même très schématiquement, ce qui se passe est utile pour imaginer ce que l'on peut attendre de la dégustation.
Une molécule "odorante", véhiculée par l'air, entre en contact avec la muqueuse nasale. La muqueuse est couverte d'une pellicule liquide sous laquelle se trouvent les récepteurs olfactifs. La molécule pénètre dans le liquide pour être perçue par les nerfs olfactifs. Il faut donc d'abord qu'elle soit soluble. Les corps insolubles ne peuvent pas atteindre la muqueuse nasale; donc ils n'ont pas d'odeur. Lorsque, sous l'effet des mouvements incessants qui animent tout liquide, cette molécule vient au contact d'une terminaison nerveuse, elle va éventuellement rencontrer, sur un cil de neurone, une protéine, c'est-à-dire une macromolécule avec laquelle elle aura une affinité chimique. Un contact s'établit alors qui modifie l'état électrique de la surface du neurone en ce point précis. Cette différence de potentiel subite va rendre la surface du neurone perméable aux ions présents. Ces ions entrent par osmose et leur présence brutale provoque une différence de potentiel subite, d'o¯ un courant électrique qui parcourt l'axe du neurone. Ainsi un contact électrique infime se trouve amplifié très fortement puis transmis.
Chez l'homme, près de 25 millions de neurones, sensibles à un assez grand nombre de corps, envoient sans cesse leurs informations amplifiées au bulbe olfactif. Là, les informations sont classées et contrastées. Chaque neurone porte, d'après les recherches les plus récentes, sur la surface des cils de ses dendrites, une protéine capable d'adsorber certaines molécules odorantes, c'est à dire d'établir avec elles un contact éphémère, mais suffisant pour la transmission de l'information au bulbe olfactif. Le cerveau intègre toutes les données reçues, probablement sous forme de " cartes ". Ce "dessin" est comparé aux dessins emmagasinés en mémoire pour détecter, par analogie, l'odeur captée. Le mécanisme est infiniment complexe et le cerveau travaille pour établir une acuité olfactive aussi précise que possible. Prenons un exemple: on identifie une odeur de banane, mais avec quelque chose en plus. On continue à flairer. Il y a alors affaiblissement de la sensation première au profit 14 d'une sensation sous-jacente : on reconna”t une odeur de fraise. On insiste encore et à son tour l'odeur de fraise s'estompe. Le système nerveux l'inhibe pour faire place à une odeur douce‰tre. Cette odeur se précise bien qu'elle ne soit pas identifiée. Mais un travail mental s'effectue. La mémoire entre en action par le jeu des associations d'images : un après-midi de chaleur... une terrasse... ombre... moiteur ... la scène remonte à la conscience dans son intégralité. Parmi une foule de détails, le souvenir cherché fait surface : la mangue qu'on a goùtée là pour la première fois.
La première sensation apportée par le cigare est celle de l'intensité olfactive que l'on désigne sous le terme de "corps". Elle concerne toujours à la fois les éléments olfactifs et la nicotine. Dans le langage courant, on dit qu'un cigare est "fort" ou "léger". Mais ces mots sont ambigus. Les stimulations olfactives de la fumée du tabac ont, comme celles des parfums, une résonance esthétique. Comme pour le parfum, la forme olfactive de la fumée est un agencement complexe d'odeurs dont certaines sont fugaces, d'autres lourdes et sourdes, si bien que dans la "durée" de l'odeur de profondes modifications se produisent, jusqu'à ce qu'il ne subsiste que la part la plus persistante de la forme initiale. Mais la fumée contient aussi la nicotine qui passe dans le sang et qui, transportée au cerveau, y produit des effets complexes, importants, mais éphémères. Or, s'il n'y a pas de relation stricte entre la quantité de nicotine présente dans la fumée et celle des éléments olfactifs "lourds", qui donnent à la fumée sa consistance (visible aussi bien que sensible au goùt), il y a malgré tout une bonne corrélation, car tous ces éléments - nicotine comprise - forment la phase semi-liquide de la fumée, c'est-à-dire qu'ils sont présents sous forme de fines gouttelettes en suspension dans les gaz. Il s'agit donc d'un aérosol. C'est pourquoi l'impression d'intensité olfactive est toujours liée au niveau d'absorption de la nicotine et à ses effets. L'ultime stade est le rassasiement, sensation tout à fait analogue au rassasiement alimentaire : le fumeur est satisfait et cesse de fumer. L'intensité olfactive ou "corps" est donc une évaluation de la quantité d'éléments olfactifs de la fumée, et en même temps de la quantité de nicotine, et c'est pourquoi une fumée très "intense" sera qualifiée de rassasiante, puisque le rassasiement va arriver avant que la dégustation du cigare se soit prolongée jusqu'aux deux tiers de sa longueur, ce qui correspond à la moyenne des habitudes de consommation. "Corpulent", "intense", "plein", "étoffé", "copieux" seront les termes qualifiant l'intensité olfactive. De même qu'un mets peut être copieux mais fade, une fumée intense peut n'être qu'une odeur sans relief, terne, pauvre, ou au contraire, être complexe, riche, voire somptueuse. La richesse olfactive, c'est-à-dire la variété et la qualité des odeurs composant la fumée est la deuxième caractéristique essentielle du cigare. Elle permettra d'apprécier la complexité et l'étendue des sensations olfactives de la fumée.
Extrait de l'ouvrage de référence: © "CIGARE. De l'initiation à la maîtrise" de Gilbert Belaubre. Photo ©Fainsilbert
L'OLFACTION, LE TRAVAIL DU NEZ
ET DU CERVEAU